Marina dit/
Anne dit/
-Allez-y, continuez.
-Enfant, j’étais fascinée par les cimetières. Plus précisément,
par toutes ces plaques qu’on y trouvait. Les dédicaces d’amour éternel, les
dates de naissance et de mort. Mourir à dix-sept ou à quarante-trois ans. Ces inconnus,
couronnés de fleurs, pleurés, figés dans le temps, me donnaient l’impression
d’être éternels. Éternels et supérieurs. Comme si la mort leur avait fait
gagner des galons, un prestige que les vivants n’avaient pas.
-Oui ?
-Oui… Et j’imaginais les circonstances tragiques : comment
celui-là avait pu mourir à vingt ans et celle-ci à six mois. Ça me semblait
inouï, irréel… J’imaginais le déchirement des familles, des amis. Et je sentais
presque de l’admiration.
Avoir franchi ce pas irréversible, en faisait des êtres
d’exception.
Moi, je me sentais beaucoup moins intéressante.
-Et plus tard ?
-Adolescente, la conscience de ma disparation qui viendrait
tôt ou tard m’a clouée au sol. Ne plus sentir, ne plus être de ce monde, ne
plus goûter l’air frais dans mes cheveux, le soleil sur ma peau, l’amour dans
mon cœur. Ne plus entendre les chuchotements, les cris, les rires. Ne plus être
là pour voir et être vue. Disparaître comme dans un gouffre sans fond, une
chute sans atterrissage, quitter tous les miens sans l’espoir des retrouvailles.
Cette mort-là a assassiné mon goût de vivre, je ne sentais plus rien.
-Vous ne sentiez plus rien ?
-Plus d’émotions, plus d’opinions. Je me souviens autour de
moi, les gens qui riaient ou qui pleuraient, ils avaient l’air si spontanés, si
vivants, et moi si loin. Je ne savais même plus ce que j’aimais, ce que je
n’aimais pas. Et puis c’est revenu, doucement…
Quand j’ai mis mes enfants au monde, j’ai eu l’impression de
toucher la mort du doigt. Tous ces changements, tous ces deuils, être enceinte,
ne plus l’être, mon bébé qui respire, la peur qu’il meure, savoir que oui, il
mourra, le refuser bien-sûr, en trembler d’horreur. Et puis, savoir que je vais
les quitter un jour, ne pas voir le bout de leur chemin, les lâcher. Toute leur enfance, les couver et ouvrir les
portes, les aimer et qu’ils soient libres.
Tout ça, c’est un peu bête à dire…
-Vous pouvez parler librement, allez-y…
-Et bien, leurs odeurs, les heures peau à peau, les voir se
mettre debout, comme ils me paraissaient immenses tout à coup, beaucoup trop
grands…
Les premiers jours d’école, les premières séparations, mes
seins débordants de lait, les premières vacances sans eux, leur hâte de
souffler la prochaine bougie, leur élan, leur soif, la mère de leur copain
mieux que moi, mon réconfort de les voir conquérir le monde, ma peur d’oublier
leurs premiers mots…
Mon cœur serré à l’idée de toute cette vie à vivre, les
épreuves, les coups durs…
-Oui. Toutes ces séparations…
-Et maintenant, ma fille enceinte, ma fille grande, elle a
l’air si heureuse, et moi qui ne suis qu’angoisse, j’ai peur pour elle, j’ai
peur pour le bébé, pour l’accouchement,
pour après. J’ai peur pour tout !
La vie arrive, et moi j’ai peur.
Vous pensez que vous pouvez m’aider ?
-Je peux vous accompagner, ça oui…
En tous cas, je vous rassure tout de suite, je n’ai pas de
remède contre la mort.
Le titre du billet est notre citation inspiratrice, extraite de L'insoutenable légèreté de l'être de Milan Kundera.
Rappel : nous vous invitons à nouveau sur le blog,
autour du thème "ENTENDRE".
Nous accueillons vos créations à cette adresse : lunedit9h13@gmail.com,
jusqu'au jeudi 26 juin, minuit dernier délai !
Publication le lundi 30 juin, à 9h13.
Merci beaucoup pour votre visite et votre mot sur mon blog. Je n'ai pas pu vous répondre car je n'ai pas votre mail. (Mais, non, je n'ai pas vu ce film que vous évoquez sous mon billet...)
RépondreSupprimerJe découvre votre blog avec plaisir. Et moi aussi, j'aime beaucoup déambuler dans les cimetières....